Ethique, esthétique et action dans l'œuvre poétique de Léopold Sédar Senghor

DSpace/Manakin Repository

Aide Aide Aide

Nos fils RSS

Toubkal : Le Catalogue National des Thèses et Mémoires

Ethique, esthétique et action dans l'œuvre poétique de Léopold Sédar Senghor

Show full item record


Title: Ethique, esthétique et action dans l'œuvre poétique de Léopold Sédar Senghor
Author: Ourya Jalal
Abstract: La mise à l’examen du substrat auquel s’assujettit, dans l’œuvre poétique de Léopold Sédar Senghor, l’éthique de l’interhumain sans escamoter l’esthétique qui en est le support, implique la restitution de l’itinéraire qui chemine de la légitimation ontologique à la velléité de s’établir, à travers le concert des civilisations soumis au droit à la différence au sein de l’union, en tant que grain séminal auquel lui revient le devoir d’humaniser l’homme et de spiritualiser le monde et l’histoire. Cette prétention fonde l’intérêt de l’autre versant de cette réflexion dans la mesure où la volonté d’exercer un magister sur l’histoire par la réhabilitation des ressorts de l’émotion inséparable du sacré pourrait se lire comme une révolte contre la modernité. Du coup, il y a lieu de faire surgir en quoi la vocation militantiste du poète se décline dans son œuvre poétique sous la configuration d’une utopie où la régression dans l’image de la vie profonde prélude une progression vers le sens de l’être, et de cerner si cette utopie, conçue comme un appel à l’interhumain, fait écho au postmodernisme en ce qu’elle officie l’essentialisation de la différence dans la rencontre des civilisations pour de la sorte remettre en question l’idée de centre et de totalité ou bien elle n’est d’autre qu’une actualisation de la conception négro-africaine du pluralisme où dans la liaison se maintiennent les différences. Réfléchir à l’œuvre de Léopold Sédar Senghor implique l’obligation d’embrasser l’ensemble de ses recueils, entre autres Chants d’Ombre, Hosties Noires, Ethiopiques, Nocturnes, Poèmes divers, Lettres d’Hivernages et Elégies majeurs. Ce corpus s’élargit par un permanent retour aux essais du poète. Les essais peuvent, nous semble-t-il, fournir un éclairage sur les lieux de parole du poète. « Négritude et civilisation de l’universel », « Négritude, francité et civilisation de l’universel » et « Négritude et humanisme » ont été sollicités par moments de telle sorte que l’orientation éthique du poète soit cernée à bon escient. Circonscrire le projet panhumaniste de Senghor penché dans une poésie qui fait du verset sa pierre de touche requiert le déploiement d’une approche éclectique. L’instrument d’investigation privilégié repose sur une grille de lecture, en fait, composite. L’anthropologie culturelle et religieuse du Négro-Africain, l’anthropologie de l’imaginaire, la psychanalyse, l’ethnologie et la poétique de la poésie fondent les grandes entrées de la grille que nous envisageons pour définir sous quel jour le génie 3 poétique de l’enfant de Joal se donne comme le creuset d’une philosophie de l’homme , du monde et de l’histoire censée faire le contrepoids à la négativité et à l’incidence de la perte du sens de l’être. La première partie consiste à définir sous quel chef Léopold Sédar Senghor se dispose à offrir au monde, par le détour du verbe, une sapience où les données de la conscience consistent, après une œuvre d’essentialisation, à proposer une éthique susceptible d’ouvrir l’humanité à d’autres éventualités et de préfigurer la résurgence de l’étrange possible. Avant d’en être là, l’œuvre poétique de Senghor prend à profit l’apport des recherches en ethnologie dans la refonte de la dignité culturelle du Nègre et passe en revue l’un après l’autre les objets de pourvoyance à même de le réconforter dans son être-au-monde. En effet, après la décolonisation du Moi Nègre, le poète s’emploie à repenser, ayant foi en images de la vie profonde, le rapport de l’homme à l’homme et par conséquent celui de l’homme au monde. Avant de s’y vouer, il bat en brèche les préjugés minimalistes de l’Occident orientés contre le Nègre. Dans l’œuvre de Senghor, aucune orientation future ne semble envisageable sans l’acquisition d’un point d’appui ontologique. Senghor se serait ainsi inscrit dans la logique rimbaldienne ; « avant de cultiver son âme, il faut la connaître ». Il définit la connaissance de soi par soi comme un préalable nécessaire. La rentrée en soi s’établit comme un passage incontournable. Il s’agit de renaître à soi pour mieux retrouver en aval l’autre. Senghor réexplore la mémoire des siens et procède ipso facto à la résurrection de ce qu’il aurait pu être réellement et ce qu’aurait pu être sa vie concrète avant que le souvenir ne le lui révèle ; le poète aurait vécu son réel absolu avant que la poésie et le mythe n’en fassent tardivement mention. Poser la poésie de Senghor comme un hymne à l’ être-au-monde implique l’exigence de prendre parti par rapport à Orphée Noir de Sartre qui, pour continuer sans le déclarer le paternalisme de l’Occident, s’obstine à réduire la Négritude à un temps faible dans la progression historique comme si quelque chose dans la conscience du Nègre faisait du Blanc le maître éternellement attendu. La deuxième partie fait ressortir la portée messianique du verbe senghorien. En fait, au retour de son pèlerinage dans la vie de la psyché, il appelle le monde au culte de l’interhumain, à l’humanisme de l’universel subordonné à l’impératif de l’amour désintéressé, à l’union qui ne déroge en rien à la permanence. Le poète se réclame élu pour diviniser le monde et spiritualiser l’histoire. Il se résout par-là à rapprocher ce qu’est le monde dépravé à la suite des maturités étranges auxquelles ont abouti les successions accomplies sous les temps modernes, de ce qu’aurait été son Royaume d’enfance où toutes les amours et les dépendances vivent ensemble. Son apologie de l’émotion jamais désolidarisée du sacré promet l’accomplissement du mythe de l’Un. Il l’entrevoit comme une expression de la vie naturelle péremptoirement convaincu que le monde, sorti de l’unité, devrait, sous le règne de l’amour et de la spiritualité, rentrer dans l’unité. Le poète s’abîme dans l’enfance, cette vie de la jouvence, redécouverte par l’intercession de la rêverie coulée sur l’anima. Ce processus, fondateur du bréviaire esthétique du poète, répond à sa lancinance de substituer les spectacles de l’enfance au visage du monde tombé dans l’écueil de la sécularisation. Le retour obsessif à la vie utérine en ce qu’elle est un dépassement de l’antagonisme promeut le vivre ensemble. Le verbe se fait à l’image de cette éthique dédiée à l’accord convergent. Cet esprit prélude la naissance d’une liturgie vouée à l’humanisme de l’universel articulé à la condition du changement dans la permanence. Cette condition instaure une nouvelle philosophie du rapport du sujet à l’altérité. Le projet du poète se veut être repositionnement par rapport à l’universalisation du modèle culturel des sur-grands ressentie impossible en regard de la peur du modèle de se trouver dépasser par l’autre, le différent, le subalterne ou ce qu’il se plaît de tenir pour un simple barbare, ou de le voir acquérir le statut du semblable, autrement dit celui du double monstrueux ; l’Occident rejette l’esprit de partage. Il le confond avec l’imitation. Par ses voies, le différent s’imposera comme un identique. Voir l’autre s’élever au rang du semblable induit de faire face à l’idée du double. Dans l’anthropologie occidentale, pour reprendre La Violence et le Sacré de René Girard, le double est monstrueux. Le projet éthique du poète prétend court-circuiter les aléas de l’hybridité dans la mesure où elle est une dissension entre la volonté d’être ici et là sans pouvoir, tout compte fait, être de nulle part. En ce sens, la pierre de touche du projet éthique de Senghor officie tant soit peu l’identité-ipse ou bien le soi-même comme un autre. Ainsi, la poésie associée en amont à un processus de justification ontologique, dans la mesure où par l’écriture de la mémoire des siens, le poète construit sa propre identité, passe outre sa fonction d’objet de pourvoyance et s’arroge le droit d’exercer un magister sur l’histoire. Faut-il, à cet égard, dire que l’humanisme de l’universel fonde la forme objectivale de la mythologie du poète, entre autres, le vivre ensemble régi par la permanence. Ce principe répond à deux injonctions, à savoir le désir du Négro-africain d’être de tout temps le contemporain de Dieu et son obéissance à l’éthos négro-africain où l’individu se reconnaît en dépit des successions qu’il peut subir comme un sujet permanent sans confusion aucune. La permanence s’invite poétiquement au verbe du poète à travers son incessant retour à son Royaume d’enfance. Il dégénère, dans la récurrence, dans l’enfant qu’il était sous peine de se laisser galvauder par le profane en ce qu’il est par le bannissement de la spiritualité et le regard culpabilisateur jeté sur l’émotion, éloignement de la maison de l’être. Senghor n’a pas eu de cesse d’être luimême tout en s’offrant à l’autre et se place, par la caution accordée à ce paradoxe, dans la connaissance ; il est mû par la velléité de dépasser la dichotomisation du monde entre la séparation de la raison et la culpabilisation de l’émotion. Sans se cantonner dans la seule légitimation, le Noir s’offre comme un palliatif, par la conciliation des paradoxes, contre le schisme creusé dans la chair de l’humanité. Son propos s’établit comme la liturgie d’une nouvelle cosmogonie calquée sur un modèle ancien. Senghor remet par-là en question cette vision où la raison et l’émotion, voire la foi et la spiritualité font l’objet d’une inconciliable antinomie. Ce faisant, la poésie de Senghor devient dévoilement et rupture de l’illusion dans le sens où le poète soutient que l’humanité ne peut aller à son achèvement sans que le scientisme ne se colore de spiritualité. La descente archéologique du poète dans sa mémoire s’inscrit de la sorte dans un ambitieux programme dédié essentiellement au concert des civilisations respectives, il a ressuscité les valeurs qu’il pourrait proposer dans le cadre du rendez-vous de donner et de recevoir et il s’offre, par le déploiement de son potentiel en termes d’émotion et de spiritualité, comme une force séminale. Senghor adhère à la présomption que les drames agis et subis s’apparient au déficit des modèles hégémoniques en termes de spiritualité et en matière du sacré évacué sous le règne de l’abstraction de la sphère de l’homme. Le poète a foi en sa perception poétique dont est issu son réel absolu investi d’effluves utopistes. Son utopie, établie comme possibilité ratée de l’histoire, s’inscrit dans la fin de transformer le monde pour le porter, chemin faisant, à sa dignité première. L’élan régressif s’assortit d’une intention future et se place sous le contrôle d’une orientation d’obédience presque romantique en ce sens où Senghor, à la manière de F. Schlegel, se dispose, à travers son utopie, à imprégner le monde de ses propres nostalgies. En effet, le passé se constitue comme le levain d’une utopie établie comme une concrétisation d’un réel absolu érigé en hymne au vivre ensemble. De ce fait, l’œuvre poétique de Senghor ne peut se lire comme une variante du Socialisme marxiste. Si le Socialisme rejoint au mépris de sa ligne directrice les rapports de production propres au capitalisme et cautionne à degré moindre la domination de l’un par l’autre, l’idéal dont le poète est empreint propose l’apologie de l’autonomie dans l’union. Poétiquement, les contraires dans l’œuvre de Senghor se côtoient sans s’exclure pour de cette manière engager le monde dans une nouvelle aventure. De leur convivialité surgit le chemin de la connaissance. Senghor aurait tenté de ramener le monde à son incandescence de la première fois où l’un appelle l’autre dans une complémentarité désincarnée. L’ordre qu’il prend en charge s’emploie à évacuer la négativité par l’apologie de l’émotion indissociable du sacré. Dans le règne poétique de Senghor, la foi en l’homme et la foi en Dieu sont la condition l’une de l’autre. L’enfant de Joal se bat pour ramener le monde à son unité par le détour de l’alliance de la raison et de l’émotion. Cette alliance en ce qu’elle est un retour à la nature humaine requiert la reconnaissance de l’autre. Toujours est-il que ce projet panhumaniste s’inscrit à l’antipode des métarécits des temps modernes, entre autres le nationalisme qui, formé comme un instrument de contrôle politique, donne raison à la conscience d’être suprématiste et dégénère dans l’homogénéisation soumise discrètement à la hiérarchisation en ce qu’elle est un moyen amorti de la domination. A cet égard, la troisième partie interroge la réalisabilité du projet de Léopold Sédar Senghor eu égard au socle idéel qui fonde l’éthos occidental. Le risque de le voir se heurter au nationalisme séculier et par moments chauvin, apparaît énorme. L’Occident a créé le nationalisme, pense Senghor, non comme un paradigme dicté par la communauté du destin ou comme une résultante liée à la question de l’appartenance. Bonnement loin de toutes ces considérations, l’Occident fait du nationalisme un appareil de contrôle politique et un dispositif censé légitimer la haine de l’autre et ménager en conséquence un espace à l’antagonisme indispensable au déploiement de sa dynamique. Senghor fait le contrepoids à l’idée moderne de totalité prise dans sa signification séculière ; l’Occident croit qu’il est le seul modèle possible. Sa tendance suprématiste le porte à mettre en œuvre son universalisme logé d’imposture. Le poète invente, en fait, son humanisme de l’universel au moyen du rêve coulé sur le féminin. Ses idées en apparence nouvelles, reprennent, à la manière du palaios logos de Platon, un discours ancien. Le poète en fait flèche contre l’universalisme abstrait de l’Occident qui, loin de cautionner l’égalitarisme et la communauté du destin, favorise plutôt l’émergence du centre qu’est l’Occident. Cet universalisme subordonné en rien à la chaleur communielle tient dans la normalité au développement inégal des peuples. Senghor pressent que l’Occident définit le mal comme une nature première. Du coup, le poétique, dans la mesure où il est une quête du sens par les voies des sentiments, se met à l’épreuve du politique. Son culte de l’émotion comme promesse d’un monde indivis abonde à contre-courant du substrat fondateur des temps modernes où rien n’est plus névralgique que la rencontre de l’irrationnel. En regard de sa révolte contre les travers de la modernité, l’œuvre poétique de Léopold Sédar Senghor semble s’inscrire à première vue dans une perspective postmoderniste. Sa pensée fournit une science sur le rapport du sujet à l’altérité qu’il place sous le principe de l’autonomie dans l’union. Le poète bien tapi dans le stoïcisme auquel le convient d’ailleurs les images de la psyché, se laisse prendre sans se nier et se donne ipso facto la lourde tâche de réveiller les choses aigries sous l’emprise de la rationalité. Cette dimension de l’œuvre de Senghor en apparence postmoderniste vient désigner à vrai dire à la vindicte le cantonnement de l’Occident dans la norme qu’il impose, à savoir la rationalité et son obstination de ne rein accepter en dehors de sa propre expérience. Le poète associe en sourdine la misanthropie de l’Occident à son obsession de maintenir les antagonismes indispensables, croit-il, au déploiement de sa dynamique. Le pluralisme assujetti à la diversité dans l’unité, loin de répondre à une injonction restrictivement postmoderniste, se rattache au principe de l’accord conciliant ressenti comme une composante inaliénable de l’éthos négro-africain. Par son culte de l’interhumain, l’auteur d’ Hosties Noires prend le contrepied de la naturalisation du mal comme démarche nécessaire à l’instauration de l’antagonisme que l’Occident envisage comme une mesure d’hygiène censée prévenir les avatars susceptibles de découler de l’égalitarisme que suppose à bien des égards le vivre ensemble. Devant l’hégémonie du mal défini comme le résultat naturel de la dynamique cosmique, le poète prend congé du monde et met en instance sa foi en l’homme. Ses remous de recréer un monde à l’image de l’ordre de la vie de la psyché, se heurtent à la tyrannie de l’idéologie. Il revisite pour noyer cette prégnante déconvenue son grand autrefois où il accomplit ce qu’il aurait aimé voir prendre joyeusement forme parmi les hommes à travers une nouvelle philosophie du rapport du sujet à l’altérité. Par cette seconde plongée en soi, la poésie retourne sur elle-même et préfigure de quelque manière que ce soit le triomphe du poétique.
Date: 2017-10-18

Files in this item

Files Size Format View
THESE_OURYA.pdf 2.068Mb PDF View/Open or Preview

This item appears in the following Collection(s)

Show full item record

Search DSpace


Advanced Search

Browse

My Account