Poétique du désenchantement dans Les Fleurs du Mal et Les Paradis artificiels de Charles Baudelaire

DSpace/Manakin Repository

Aide Aide Aide

Nos fils RSS

Toubkal : Le Catalogue National des Thèses et Mémoires

Poétique du désenchantement dans Les Fleurs du Mal et Les Paradis artificiels de Charles Baudelaire

Show full item record


Title: Poétique du désenchantement dans Les Fleurs du Mal et Les Paradis artificiels de Charles Baudelaire
Author: Rahali Saâdia
Abstract: Apercevant sa société d’un œil mélancolique et tendant vers le romantisme, Baudelaire est pourtant loin d’être un parodiste des anciens. En effet, le poète reconsidère sa société d’un regard qui altère l’idéalisme gratuit, au profit d’un pacte engagé tout d’abord vis-à-vis de soi, et vis-à-vis de sa propre conception de l’authenticité et de la virtuosité. Son idéal du beau recueilli dans la morbidité et la désillusion berce son univers lyrique, sans pour autant faillir à la rigueur du style et au soin de l’expression. Dans cette perspective, totalité et intimité se réconcilient dans le sens où l’intransigeance esthétique pourrait procurer aussi, un épanouissement de la sensibilité, de la pensée et de ses infinies possibilités. Bercé entre le Spleen et l’Idéal, l’univers poétique baudelairien dévoile à travers Les Fleurs du Mal, un regard philosophique porté sur la réalité et sur sa propre existence. En effet, le poète, en véritable penseur, médite la question de la poésie et de l’art sous l’enseigne d’une modernité ennuyeuse et mélancolique. Ceci dit, l’expérience poétique baudelairienne spécule sur la question du beau dans un monde qui semble résigné à la platitude et à la médiocrité. Elle révèle la désillusion du poète face à ce monde où il s’exile, et où se projette le néant qu’il ne cesse de ressentir et d’exprimer. Le mal et le désenchantement noient alors le poète dans un gouffre infini dont il s’échappe partiellement par le biais de la poésie et du beau, deux figures éminentes de l’éternel. La quête du beau dont Baudelaire fait un idéal, en plus de cristalliser une sensibilité modelée par le goût de la forme, représente avant tout, un choix esthétique reposant sur une vision subjective et excentrique. La souffrance, le mal et la laideur donnent naissance à un culte de l’excentrique, inspiré des méandres de la rêverie désillusionnée. Loin de tout idéalisme platonicien, la poétique des Fleurs du Mal, emblématise un désir indélébile de faire surgir le sens, par un imaginaire nourri du goût de l’informe et de l’imparfait. De ce fait, le tempérament mélancolique de même que la conscience imprégnée du désenchantement forgent tous deux, un jugement du goût situé au-delà du bien et du mal, et finalement au-delà de tout absolu conçu dans l’intransigeance du classique. De là, ce qui motive notre choix d’un sujet pareil, c’est-à-dire d’une « poétique du désenchantement dans l’œuvre de Charles Baudelaire,» entre autres, Les Paradis artificiels et Les Fleurs du Mal, c’est qu’à notre sens, la mélancolie semble relever de l’ordre de l’authentique. L’état de désenchantement révèle effectivement la vérité de l’homme, elle le révèle à luimême et l’initie à un monde autre plus idéal, parce qu’il émane peut-être, d’un moi transcendantal, dévoilé dans les moments les plus sincères de l’inspiration. Dans ce cas, le goût de la mélancolie en plus du sentiment de désenchantement qui esquissent toute l’œuvre baudelairienne, ramènent le lecteur vers une vision subversive de la poésie. Notre travail se répartit en conséquence en trois parties. La première partie est consacrée au volet théorique, elle concerne des aspects relatifs à l’environnement bordant la production de la poésie de Baudelaire, tels que le Mal du siècle, le Romantisme ou encore le Parnasse. La deuxième partie, quant à elle, est d’ordre thématique. Elle se décline également en trois chapitres, le premier porte sur des thèmes intimement liés à l’être du poète, d’autres par contre sont en étroite relation avec les œuvres et avec la notion-clé de notre travail, à savoir le désenchantement. La troisième et dernière partie, s’attarde sur le côté esthétique de la vision et de la poésie baudelairiennes. Elle traitera donc de la notion de la modernité, de même que de la relation qui s’établit entre poésie et art, du moment que notre poète est aussi un critique d’art. De ce fait, nous nous sommes attardée au cours de la première partie, sur un des aspects qui révèle et participe le plus à l’évolution et à l’enrichissement de cette expérience humaine, à savoir celui de la littérature et plus particulièrement, celle du dix-neuvième siècle ayant donnée naissance à une poésie aussi singulière que celle de Baudelaire. Les enjeux et les déceptions de ce siècle feront aussi l’objet d’étude de cette partie, dans la mesure où ils donneront une image plus ou moins exhaustive des multiples palettes à la fois sociale, culturelle et humaine qui assiègent à cette époque. Il est à noter que la poésie imprégnée de son époque est portée dans son essence par l’ambition d’un refus et d’un déni plus ou moins déclaré des valeurs poétiques révolues. Cette poésie proteste de ce fait, contre le moralisme idéaliste. Elle se propose ainsi de plier le vers à un rythme sensible et particulièrement transcendant et utopiste. Le poète, cet être hanté par le souci de la vérité et de la sincérité, exprime alors sa dévotion pour l’art et la sensibilité par la représentation de la pureté du verbe en l’associant aux dilemmes de l’intellect, inscrits même au cœur de la pratique poétique. Cette poésie s’est donc créée une voie qui s’intéresse aux sciences humaines, étant conscient de leur importance dans la revalorisation de l’être humain. La recherche de la perfection, du beau et de l’esthétique riment avec le vouloir de donner naissance à la pureté et à l’éloquence de l’art. L’expression d’une angoisse intérieure s’est liée donc au souci formel, sans pour autant montrer un intérêt excessif pour la morale ou pour les mœurs. Le regard porté sur la vérité ne prive pas l’écriture de son originalité, puisque son monde d’inspirations qui est la réalité, permet à l’écrivain de cultiver un nouvel langage littéraire basé sur la suggestion, et de créer un monde de beauté qui échappe au conformisme et transcende la réalité en s’y référant. Dans ce sens là, cette poésie s’est épanouie par l’introduction d’une instance idéale où l’on examine son monde sous un regard philosophique, et où l’imagination enseigne la pensée dans un but de perfectionnement constant. Nous avons donc choisi de parler dans la première partie, du Mal du siècle vu qu’il est considéré d’abord, comme une notion charnière dans la littérature du dix-neuvième siècle, à travers laquelle s’exprime toute la vision littéraire, sociale et philosophique de l’époque. Puis, parce qu’elle est survenue en réaction à l’idéologie que véhiculait le siècle des Lumières. Cette notion a donc contribué à remettre en question un système de valeurs et de pensées qui pesaient sur la production et même sur l’époque, par des concepts à portée délimitée et par des représentations révolues. Le concept du Mal était donc la conséquence naturelle d’une douleur inhérente même à l’existence de l’homme. N’en pouvant plus assumer ce pesant héritage des Lumières, cet homme s’est convenu à goûter à la volupté qu’on se procure en traçant sa propre voie, tout en étant conscient qu’il sera confronté à la vérité et à ses désillusions. Conditionné par une crise des valeurs et par un doute total des repères. Le mal du siècle est survenu en réponse au siècle des lumières où la science et la logique ne parvenaient plus à garantir la consolation et l’apaisement à l’homme. L’esprit cartésien engendré par cette époque ne trouvait plus son épanouissement et son répit dans une pensée plate et sobre. L’âme humaine s’est sentie dès lors emprisonnée dans toute pensée cohérente qui reflète l’esprit de l’époque plus qu’elle ne projette son essence et ses véritables malaises. Le mal du siècle est devenu par conséquence un nouveau mode d’expression voire même d’être et de penser, à travers lequel l’homme de lettres exprime son désengagement à l’égard de la politisation de la vie littéraire, et sa sensibilité exacerbée qui ne se reflète plus dans l’âge d’or des Lumières. Le regard raisonnable et le bonheur plat qui renoncent à soi et à ses vrais goûts, sont loin ainsi d’assouvir cette aspiration de l’homme des lettres à la liberté. La formulation esthétique du mal renouvèle les fondements de l’art en se centralisant sur le rapport qui existe entre le mal et la littérature. Ces deux concepts étant établis aussi bien sur la réflexion que sur une réaction intuitive, permettent de se détacher du plaisir plat que procure l’illusion de la littérature au nom de la sobriété. Il n’est plus question ainsi de sacrifier l’apparence pour la vérité, mais de soumettre ce sentiment du mal à l’expérience littéraire et de 6 solliciter la pensée en pliant le produit artistique aux ondulations de l’âme. L’entendement que procure la raison ne représente plus l’esprit de cet homme envahi par le malaise et la désillusion qui s’installent contre soi, et permettent une révision de la conception traditionnelle de l’activité artistique. Seule la confrontation au Mal du siècle tenait à redonner à la littérature sa véritable mission. Celle de concevoir et de vivre son propre rêve, de créer l’évasion à travers la littérature puis surtout, celle de se contempler en se plaçant au centre du langage des correspondances entre le moi et son univers. L’homme des lettres associe donc cette mélancolie éprouvée et vécue au cours du siècle à la sensibilité créative. Cette mélancolie imprégnée de la volonté de bouleverser l’entendement et le sens moral de ses lecteurs, confère à l’écrivain une perception où le plaisir de l’écriture redouble sa douleur à la fois intellectuelle et émotionnelle. Les mélancolies que l’âme du créateur subit sont souvent le déclic d’une existence prométhéenne, à travers laquelle l’écrivain crée l’évasion vers un monde parfois même immonde, visant essentiellement à manifester son refus à se fondre dans l’expérience commune. En conséquence, le beau constitue une thématique mise au service de l’écriture et résultant des entrelacements, en même temps que des paradoxes que l’écrivain tisse entre ce qui forme le sens commun, et ce qu’il en fait pour exprimer sa propre perception et sa propre vision. La poésie baudelairienne, de part son vouloir de maintenir dans l’âme créatrice, le goût du rythme et de la beauté, s’enivre dans sa quête de l’esthétique qui intègre la poésie au mouvement intellectuel sur le plan du dire et du signifié, sans pour autant dénuer le vers du plaisir qu’il procure au poète à travers l’exercice formel de l’inspiration. Le vers baudelairien est la voix des conflits intérieurs où s’identifient l’onirique à la vocation de sentir, d’être transporté par les mots et de porter par eux, les ondulations de son âme. Le pouvoir de la parole concède au dire poétique son essence, par laquelle la perfection du style rejoint l’état d’âme du poète. En effet Baudelaire, ce poète tant connu par sa révolte constante contre tout ce qui peut plier son vers à des impératifs, s’est destiné à faire de ce genre poétique une voie œuvrant pour cette double postulation de l’être humain. L’une vers l’idéal vertueux et l’autre vers le spleen que forme la prise de conscience de la malédiction qui pèse sur l’âme créatrice. La réflexion baudelairienne semble débouchée sur une écriture symbolisée qui vise à concevoir un idéal unique et sans précédent. Ainsi, en rejetant le romantisme et le réalisme dont il se trouve contemporain, Baudelaire témoigne de sa conscience des limites et des vulnérabilités de ces deux courants. Le rationalisme et l’engagement dans la vie sociale et politique auxquels adhéraient les réalistes et dont découle l’idée de l’utilité de l’art, ne pouvaient rimer pour lui avec les beautés et les intransigeances de sa vision de la création. Ses réticences aussi par rapport au romantisme qui prônait une vision trop idéalisée et parfois même impersonnelle du poète, tentaient de proposer une conception poétique plus attachée au vécu personnel et intime du poète. La réflexion à laquelle Baudelaire préparait la scène poétique, consiste par contre à peindre les impressions et les pensées philosophiques et psychologiques de son temps, mais surtout de son esprit qui déploie sa propre esthétique de la modernité. Le poète entretient une affinité avec tout sujet susceptible de lui permettre de rester fidèle à sa véritable nature humaine et de se procurer la passion élevée, contre le culte de la matérialité. Il se définit dès lors, comme le défenseur d’une individualité qui nous introduit dans son « idéal artificiel »1, lequel idéal est jugé indispensable à toute activité intellectuelle et sensorielle. En effet cet idéal artificiel dont Baudelaire parle, abdique la spontanéité et le « naturel excessif »2 lors de l’exercice poétique et privilégie 1 - Yoshikazu Nakaji, Baudelaire et les formes poétiques, La licorne, Presses universitaires de Rennes, 2008, P.196. 2 - Ibid, P. 200. 8 plutôt, une perception où le créateur s’enivre du monde repensé et médité de l’artificiel. Selon Baudelaire ce contexte social, économique et littéraire qui a participé à tracer implicitement ou même explicitement la lignée de sa poésie, n’a eu pour fin que celle de confirmer le rôle du poète d’examiner son époque avec l’œil de l’intellectuel attentionné, résilié et résolu. Sa résolution émane du fait qu’il met à nu une vérité fugitive, qui ambitionne d’installer l’inquiétude et la confusion mêlées aux ironies les plus poignantes. La création lui permet en fait, la fusion de cet aspect de l’humour noir avec l’exercice artificiel de la langue, pour témoigner de l’insignifiance de ce monde et de l’anonymat de l’être perdu au milieu de la foule. L’esthétique baudelairienne invente donc sa propre modernité à partir des influences romantiques et du formalisme parnassien, elle unit de multiples espaces de création d’où d’ailleurs la variété qui se repère au long de son recueil. La vocation de Baudelaire le replace de ce fait dans une contrée où le choix de certaines thématiques n’est pas uniquement le seul élément qui juge de la modernité du poète. Il est question de combiner la manière de représenter ces thématiques, à la beauté formelle tout en les liant également à la vie et aux réflexions contemporaines. Les liens qui unissent Baudelaire aux romantiques par exemple, attestent de la richesse d’un imaginaire affranchi des normes classiques décevantes et renvoyant au non-sens. Les sources d’inspiration se réitèrent mais se perpétuent à accueillir les amertumes qui font figure de l’art approchant la fidélité à luimême. A l’instar des romantiques, Baudelaire croit aux sensibilités qui échappent à la lucidité de l’homme classique. Il guette les figures artistiques fuyantes où le laid saisi le poète et le décide à exposer l’horreur de l’idéal, et à être inventif plutôt qu’imitatif. Demeurer dans l’illusion d’être, se révèle de la sorte dans la transcendance que le poète tente de concrétiser dans la quête de l’inaccessible, sans pour autant manquer de mettre son art au service des exclus et des êtres de la marge. Ce qui revient à se procurer l’aspect humain porté par l’union des évocations et de la teinte dramatique et individualiste, au-delà de toute moralisation ou enseignement. Par ailleurs, la conscience éthique du poète attiré par l’idéal parnassien, prend de moins en moins les considérations d’ordre réel. L’art sous l’égide parnassienne deviendra donc un luxe, voire même un surplus, vu son insouciance aux suffrages de la foule. La dimension esthétique à laquelle il adhère et qui se préoccupe plutôt des contraintes formelles classiques, marque certes le profond souci de la forme, mais révèle également le paradoxe vers lequel ont glissé les auteurs du parnasse, celui de ne savoir comment être apte à assurer la continuité et la mission de l’art s’il est réduit au simple formalisme. Ainsi, le symbolisme est survenu pour libérer le vers poétique du moule classique de ce formalisme. Il en est à la fois le prolongement puisqu’il se détourne de l’histoire et de la politique de son époque, et la rupture du fait de son goût pour l’art de la suggestion en dehors des règles prosodiques anciennes. Conformément au parnasse, le symbolisme a consenti à être l’expression de la seule réalité émanant de soi et hostile aux vérités dont le symbole n’est pas l’inspirateur. Baudelaire était donc conscient des limites du parnasse puisque sans pour autant se borner à représenter un beau n’ayant de réalité hors de soi, il voulait faire valoir un univers poétique des allégories et des symboles, où le suggestif aura effectivement son mot à dire. La double inclination exprimée à l’égard des deux mouvements, reste toutefois apparente dans maints poèmes baudelairiens, elle s’accorde en conséquence à forger les passerelles entre l’imagination et le goût de l’artifice. Détaché de l’éloquence purement descriptive, le poème baudelairien participe à envisager une conscience qui rend au culte du beau parnassien, une sensibilité inhérente à l’idée ramenée à l’image métaphorique. Se projetant dans un lyrisme qui marie à la fois esthétisme, plaisir et intellectualité, la poésie baudelairienne vise plutôt un symbolisme visionnaire que le poète met en œuvre, à dessein de donner naissance à une nouvelle forme d’écriture dont l’idéal poétique n’est plus cloîtré par la platitude de la réalité. Cet idéal détient un caractère visionnaire dans la mesure où, à notre sens, la notion se présente comme étant l’emblème du rêve qui échappe au réel et le transcende, par l’exploration des contrées mystérieuses de l’imagination. Le symbolisme visionnaire baudelairien acquiert donc ce caractère onirique, du fait de l’écart qu’il marque par rapport à la réalité du poète. De ce fait, le rêve semble être une des figures de la liberté que l’individu quête désespérément étant conscient de la désillusion vers laquelle il converge. L’univers désenchanté du créateur le tente à se laisser séduire, par les figures du mal existentiel qu’il éprouve et cultive en tant que source de douleur et de mélancolie. Le créateur conscient que son idéal reste irréalisable au sein de la vie commune, se forge alors une individualité littéraire et philosophique plus tentée par le beau et le parfait. Cette quête de la beauté compense alors la mélancolie et la vacuité dont souffre le créateur. Elle substitue au vide existentiel engendrant le désenchantement, un idéal artistique qui reposerait essentiellement sur la beauté absolue et purement formelle. De ce fait, l’éloge de la matière concrétisée essentiellement par l’art, fait l’essence du désenchantement dans le sens où l’art est pour l’esprit et l’âme désenchantés, une sorte d’échappatoire au même titre qu’une ouverture sur un ailleurs onirique et perfectionniste. D’emblée, l’artiste se nourrit de sa propre conscience inspirée principalement par la mélancolie et la déception peintes allégoriquement et installées dans un présent qui n’en est pas plus optimisant. L’effusion de l’élan mélancolique est recentrée donc de prime abord sur les figures de l’ennui. Celles-ci se rapportent en effet soit aux savoirs et aux connaissances d’où l’écrivain tire d’amers constats sur sa réalité désobligeante, soit aux chevauchements de l’histoire dont il a hérité ses déceptions et son mal d’être. En outre, l’intellectuel en proie à la solitude, tend à rejeter tout ce qui n’assoit pas à une expérience personnelle et subjective. Son rapport au monde repose sur la désacralisation de toutes les valeurs qui prétendent détenir une seule vérité incontestable. Cette désacralisation semble en effet se défaire de l’emprise des repères religieux et sociaux, ne permettant pas de porter un regard méditatif ou critique vis-à-vis de la vérité ou même vis-à-vis de l’histoire. Le doute de l’intellectuel l’amène à se résigner dans le sentiment du désenchantement puisque l’ennui et la mélancolie qu’il laisse entrevoir, se définissent par conséquence comme le revers de cette instance purement rationaliste. Par voie de conséquence, nous nous sommes attardée dans notre deuxième partie, sur certains aspects ayant un apport thématique à la question du désenchantement que ce soit au niveau de l’œuvre ou dans une perspective plutôt personnelle. Nous avons donc abordé la deuxième partie en fonction de trois points de vue : Le premier est relatif au poète et à son mode de vie à la dandy narcissique, mais aussi désillusionné. Le deuxième est intrinsèque à son œuvre notamment à la représentation du beau, de la femme, de la quête de l’infini, de la spiritualité... Le troisième point, quant à lui, est plus lié au désenchantement. Nous allons donc traiter, à travers ce point, des thématiques relevant du registre mélancolique et ce, en mettant en exergue les lectures que Baudelaire propose des questions relatives au beau, à la solitude, au spleen. D’emblée, la réflexion sur le beau en harmonie avec le plaisir esthétique fonde la trame de la nouvelle création. Elle acquiert un attribut épicurien où la satisfaction des sens s’accorde à la forme, à sa sublimation intrinsèque au moi confus. Dès lors, le beau développe un sens profond qui unit les éléments opposés en apparence, il établit des rapports secrets fondés sur l’allégorie qui fait vaciller le sens entre dévoilement et dérobement. Le goût du beau devient donc convertible à un univers de symboles qui pourrait bien dévoiler un 12 désaccord avec le vrai, avec le bien. L’aspect fuyant et ambigu du beau rejoint de la sorte la subjectivité du goût propre et de l’expérience individuelle. Baudelaire, étant aussi critique d’art, a su ainsi faire du beau une appréciation subjective dont il était question surtout, de se dépasser soi-même. Son regard de critique lui a valu d’aller au-delà de l’opinion commune, fondée sur des prises de positions essentiellement dualistes pour ainsi créer, une forme du beau qui reconnaît ses limites et institue dans la laideur, le vice, le mal… des parties intégrantes, voire même consubstantielles. En se montrant provocateur et cynique, le poète appréhende une « fugitive beauté »3 qui se dénude de son caractère sacré et noble, pour dire que l’absolu du beau ne l’est effectivement qu’à partir du moment où il donne à voir à une vision personnelle, où le créateur se sentira libre de traduire son idéal et d’y percevoir et y établir une figure du beau, sans pour autant être taxer d’ignominie ou d’atteinte à la morale. Tiraillé entre son aspiration à un monde idyllique perdu et son dégoût du monde terrestre qui profane son idéal et l’accable par l’ennui du quotidien, Baudelaire entre ce « Spleen et Idéal » crée une correspondance révélatrice, située au cœur des pièces des Fleurs du Mal et des Paradis artificiels. L’œuvre baudelairienne recèle en fait dans maints poèmes une théorie des correspondances qui réconcilie deux univers apparemment antagoniques: l’un matériel et lié aux manifestations concrètes, établies par rapport à sa réalité. L’autre transcendantal par la synesthésie qu’il met en vigueur avec toutes les sensations immatérielles, ayant une inspiration beaucoup plus spirituelle. Dans cette perspective, la théorie des correspondances par exemple, semble être intimement liée à une essence propre à l’être du créateur et au regard sensible à travers lequel il perçoit le monde. Suite à cette approche thématique de l’œuvre baudelairienne et de la notion du désenchantement aussi, nous avons proposé dans la troisième et 3 - Les Fleurs du Mal, P.127. 13 dernière partie de notre travail, une approche qui s’est attardée beaucoup plus, sur quelques aspects relatifs à la réflexion que Baudelaire a, en tant que critique d’art, sur certaines œuvres artistiques, mais aussi sur certains artistes peintres et sculpteurs. Cette partie s’est voulue également de mettre en avant la notion de la modernité dans la conception baudelairienne, d’autant plus que le poète est qualifié comme peintre de la vie moderne et que sa poésie et son regard sur la poésie et sur l’art en général, fait preuve à plusieurs égards, de beaucoup de sensibilité et de tact. Romantique en âme et symboliste par vocation, Baudelaire cristallise une poétique de la modernité qui le destitue de toute spéculation classique de la poésie et affirme par conséquence, son intransigeance esthétique aussi bien qu’idéelle. Baudelaire rend ainsi compte d’un idéal qui passe tout d’abord, par les ruses de l’artifice et des tournures stylistiques en situant ce côté esthétique, dans une dimension ayant pour finalité ultime, la sublimation et le perfectionnement de l’art à travers la forme. C’est ainsi que le poète en qualité d’anticonformiste, se révolte contre l’excès de l’émotion en souscrivant également aux exigences du beau lié à la forme. Baudelaire accorde en conséquence au signe et à ses suggestivités, un intérêt particulier qui avait initié à l’époque, à l’esprit et à la vision symbolistes. Dans ce sens là, son initiation au mouvement symboliste a contribué également à cultiver une imagination au service de la forme et de la recherche dans le style. La pensée symboliste a réussi ainsi à créer un certain entendement entre la sensibilité et le goût esthétique. Dès lors, la correspondance entre les signes, les sens et les vocables a donné naissance à un renouveau de l’écriture qui se démarque par ses thèmes évocateurs, aussi bien que par sa théorie du beau. De là, la réflexion esthétique qui accompagne l’œuvre baudelairienne semble être placé sous le signe d’une approche moderne et originale de la poésie. Une approche qui ne manque pas pourtant de souligner le spleen et l’aliénation auxquels prédispose la vie moderne. En tant que critique d’art, mais aussi en tant que peintre de la vie moderne, Baudelaire envisage l’art dans sa totalité. Dans ce sens là, le poète à travers ses Tableaux parisiens, son idéal du beau, son culte dandy, conceptualise un regard moderne sur la littérature qui se ressource de l’art, pour échapper à la réalité splénétique et embrasser par voie de conséquence, son idéal esthétique. Baudelaire repense ainsi, cette complicité naturelle entre l’art et la littérature de façon à tisser des correspondances, reposant essentiellement sur le désir d’immortaliser la puissance évocatrice de l’imagination, à travers l’œuvre d’art. Emanant d’un désir de rupture avec ses prédécesseurs d’un côté, d’une prise de conscience de sa réalité de l’autre, la poésie baudelairienne refuse également d’intégrer ce monde moderne dans une conception esthétique intégralement sublimatoire et idéaliste. Ainsi, pour Baudelaire « La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable.»4 La poésie des Fleurs du Mal s’est donc également imprégnée du laid, du critiquable, de son présent tout court, pour remettre en cause ses fondements et avoir le mot d’ordre de cette nouvelle esthétique moderniste et subversive. Le poète parvient en conséquence à extraire du périssable et de ce qui est le produit d’une condition sociale temporaire, une vérité immortelle et propre à l’homme de tous les temps. De là, la conception de la modernité chez Baudelaire émane d’une vision où l’esthéticien, le poète et le critique d’art secondent tous, une esthétique maniant la théorie originale du beau et la sensibilité de l’imagination. Les affinités que Baudelaire établit entre les sensations propres à son monde sensible et les manifestations perceptibles, rendent alors compte d’une esthétique qui 4 - Charles Baudelaire, Ecrits sur l’art, Le Livre de Poche Classiques, Librairie Générale française, Paris, 1992 et 1999, P.518. atteint son idéal en effectuant un rapprochement entre les différentes formes artistiques : qu’elles soient poétiques, picturales, plastiques ou musicales. De là, approcher le lyrisme baudelairien dans son rapport avec la notion de la mélancolie revient à interroger une esthétique du beau et du sensible, imprégnée de l’âme désenchantée du poète. L’esthétique lyrique baudelairienne part effectivement, d’un ressenti intérieur marqué par le sentiment profond d’une mélancolie inexpliquée et pourtant inspiratrice. Elle institue alors un certain culte lyrique couronné de solitude et de désespoir. C’est donc dans la fougue du tempérament, dans la conscience du mal et dans la vocation au malheur que naît le goût d’une esthétique baudelairienne de la mélancolie. Car d’une part, celle-ci cultive une sensibilité tournée vers l’expression subjective et authentique du moi, et de l’autre, elle met en évidence cette influence par l’esprit blasé dont tout le siècle s’est nourri. De ce fait, la conception lyrique de la mélancolie dans l’œuvre de Baudelaire, traduit une existence solitaire ancrée dans le Mal du siècle et emblématisée par la figure révélatrice du poète maudit. L’imaginaire poétique ponctué de mélancolie et de désenchantement, déloge alors l’image conformiste du poète qui prône un idéal exhaustivement sublimatoire, et la substitue par un regard plus véridique et plus converti à son mal de vivre intérieur. En prenant conscience du moi lyrique et de son spleen incurable, Baudelaire renonce donc à tout ordre purement moral et aux revendications sociales que proclamaient nombreux écrivains et poètes avant lui.
Date: 2018-04-19

Files in this item

Files Size Format View
Document indisponible1.doc 22.52Kb Microsoft Word View/Open

This item appears in the following Collection(s)

Show full item record

Search DSpace


Advanced Search

Browse

My Account